Haut-parleurs et écouteurs

Publié le par Meuble

Oui, je sais, je recycle encore un vieil article... Désolé pour ceux qui l'ont déjà lu ! Mais comme je prends pas le temps d'écrire, en ce moment, ben c'est bien pratique ! Et comme Panthère m'a fait pensé à cet article, suite à une réflexion sur les gens qui ne parlaient pas des masses, mais au contraire passaient leur temps à observer le monde autour d'eux, ben voilà l'article en question !




                L’étude de la société et des comportements humains est un leitmotiv de mes réflexions personnelles sur la condition humaine, et notamment la façon que ces êtres si étranges, que nous côtoyons cependant chaque jour, ont de communiquer : certaines personnes considèrent comme des défauts d’être timide ou bavard. Je pense plutôt que derrière ces tendances se cachent deux approches différentes de la communication, bien que, en ce qui concerne la timidité, je sois moins catégorique : ce trait de caractère comprend, outre le fait d’être d’une loquacité réduite, une réticence à aller vers les autres, à rencontrer d’autres personnes. Le problème réside, à mon sens, dans l’image que l’on a de soi-même, et dans le fait d’oser ou non : oser s’adresser à des gens qu’on ne connaît pas, oser peut-être les déranger, oser leur parler, tout en craignant de faire mauvaise impression, de ne pas savoir quoi dire, de donner une image négative de soi.

Les bavards, eux, ont toujours quelque chose à dire, une blague à raconter, un récit épique à dépeindre, un silence à combler. Leur plus grande crainte est qu’il y ait un blanc dans la conversation, même si parfois « mieux vaut se la fermer et passer pour un con que l’ouvrir et ne laisser aucun doute à ce sujet ». Dans toutes les occasions, ils osent, ils paraissent ouverts et se font remarquer en société par leurs conversations mondaines.

 

Mais là n’est point le but de l’étude d’aujourd’hui : le fait d’être bavard ou timide engendre en effet un phénomène intéressant concernant la prise de parole dans les conversations, car, finalement, quel que soient le caractère, il n’existe que deux catégories de gens : ceux qui écoutent, et ceux qui parlent : parleurs et écouteurs. Les parleurs monopolisent le temps de parole, et, généralement, n’écoutent que rarement ce que leur racontent les autres, car ils ont des idées sur tout, et, bornés, il est extrêmement difficile, voire impossible, de les faire changer d’avis. Quand ils sont lancés, il est très malaisé de les arrêter, car leurs phrases suivent constamment le cours de leur réflexion, qu’il ne faut surtout pas stopper. Quand on essaye de leur couper la parole, les parleurs ont alors deux solutions : marquer un court temps d’arrêt, avec, en option, deux ou trois mots, « oui, mais attends, parce que… », puis reprendre les derniers mots qu’ils ont prononcés et continuer sur leur lancée sans laisser l’opportunité à leur interlocuteur d’émettre un avis, ou bien, deuxième solution, continuer comme si de rien n’était sur leur lancée, mais avec un volume sonore légèrement plus élevé qu’avant, de manière à ce que l’auditoire entier entende sans problème le flot de mots continu s’échappant de leur bouche volubile.

Les écouteurs, quant à eux, amassent des connaissances, écoutent, avant de répondre aux autres. Ils attendent leur tour pour s’exprimer, et n’interrompent jamais les conversations des autres (sauf en cas d’extrême urgence). Ils parlent généralement lentement, en ayant l’air de chercher leurs mots, comme s’ils n’étaient pas habitués à parler. Cela est dû au fait que, pour communiquer efficacement, il faut employer les bons termes, ceux qui collent le mieux à la pensée courante nageant dans le cerveau de son géniteur, et qui permettront aux personnes faisant partie de l’assistance de cerner l’idée de l’écouteur de manière la plus fidèle possible. En écrivant un texte, il est fort aisé de trouver le mot juste, puisque l’écrit se construit de manière globale, de sorte qu’on peut revenir sur une expression ou une phrase mal formulée et la remplacer par un terme qui sied plus justement au contenu. A l’oral, cette démarche est bien évidemment impossible, d’où la difficulté d’employer la bonne formulation, et donc la nécessité de chercher ses mots.

 

Par conséquent, il existe trois types de conversations, selon la nature des interlocuteurs : quand un parleur discute avec un écouteur, tout se passe globalement bien, chacun restant dans le rôle qui lui convient le mieux. Il faut cependant que le parleur réussisse à s’interrompre pour laisser l’écouteur répondre, car ce dernier n’osera pas couper la parole à son interlocuteur, et sans quoi la discussion se rapprochera plus du monologue que du véritable échange.

Quand deux écouteurs discutent entre eux, là encore tout va à peu près bien : le rythme n’est certes pas très soutenu, ce qui peut agacer un éventuel parleur qui se trouve là en tant que spectateur, et qui aura certainement envie de prendre part à la discussion, mais cela convient aux écouteurs, pour qui les blancs dans une conversation ne constituent que rarement des silences gênés : ce sont des moments propices à la réflexion, pour se faire un résumé de la situation avant de continuer le débat.

Quand deux parleurs discutent, là, ça peut friser le champignon atomique : chacun veut à tout prix monopoliser le temps de parole, et s’ensuit alors une lutte de pouvoir sans merci à coups d’interruptions, de haussements de ton, de cris, de grands gestes de dénégation… Bref, un spectacle du plus haut comique pour un écouteur ! Malheureusement, ce débat entre parleurs peut facilement dégénérer en pugilat dans lequel celui qui parle plus fort que l’autre, et donc arrive à se faire entendre, remporte la manche.

 

Il n’y a qu’à voir les débats politiques pour se rendre compte de l’intérêt phénoménal d’une discussion entre parleurs : un des protagonistes commence à s’exprimer, et tout se déroule sans problème majeur, jusqu’au moment où un deuxième souhaite à son tour faire valoir ses idées. Ce moment arrive en général dès qu’un désaccord d’opinion se manifeste, c’est-à-dire assez rapidement, lorsqu’il s’agit de politique. S’ensuit donc un brouhaha incessant dans lequel on n’arrive plus à percevoir qu’un mot sur trois, ce qui sabote très efficacement toute tentative de compréhension de l’avis de l’un ou l’autre des participants à la discussion, qui méritent alors tous l’appellation de haut-parleur. A tel point qu’il faut toujours un médiateur pour ce genre d’exercice, sans quoi les débats dureraient certainement un quinquennat entier, le temps que tous les candidats aient eu l’occasion d’en placer une ! Et, le soir des élections, ils repartiraient tous chez eux pour attendre le résultat, en pensant au lendemain où, quel que soit le vote de la veille, ils reprendraient de toute façon inlassablement le même débat, en vue de la prochaine élection.

 

Fort de ce constat, la question qui intervient logiquement ensuite est de savoir quel est le meilleur moyen de communiquer : parler en espérant que, au milieu du flot verbal inarrêtable, un infime pourcentage de l’idée à communiquer soit effectivement perçu, ou bien écouter en attendant son tour, au risque de ne pouvoir exprimer sa pensée ou en lassant le public par un flux d’une lenteur extrême qui ferait somnoler même le plus attentif des fans de Derrick ?

L’efficacité est certes difficile à atteindre. En effet, rares sont ceux qui réussissent à trouver le juste milieu, au confluent du verbe et de la quiétude, dans une mesure certaine exempte de tout hubris. Mais ce sont eux qui détiennent la clé de la vie sociale accomplie, car ils savent raconter de belles histoires, parler d’eux, mais aussi écouter les autres et montrer leur intérêt pour autrui, sans complexe aucun. Ils savent tour à tour parler et écouter, écouter et parler, dans le respect des personnes qui les entourent. Et lors de leurs monologues, ils savent user efficacement de tons de voix divers et variés afin de capter l’attention du public et ne pas la laisser s’envoler. Mais la diversité des cultures et des intérêts est si vaste qu’aucun orateur ne saurait captiver tous les peuples de la Terre…

 

Et si le secret de la communication et la compréhension était simplement d’énoncer ce que le peuple souhaite entendre ?

Publié dans Pensées en bouquet

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
P
Un mot en passant, j'y songeais, un jeu de mots sur ton titre finalement : beaux parleurs et écouteurs... lol
Répondre
B
En même temps, je vois aussi bien la prof de spé le dire. Par contre, je sais plus comment elle s'appelle, mais elle a eu le mérite de rendre cette matière limite intéresante.
Répondre
M
Hubris, ça devait être Mesure et Démesure... C'était bien en spé, je crois... Bizarre, j'ai l'impression de voir Massot dire ce mot...
Répondre
B
Il date de quand ce mot Meuble déjà ? C'était en 3/2 non ?
Répondre
T
Je crois qu'on a tous noté la ressemblance ;-).Et pour hubris, Wiki est mon ami.
Répondre